LES MOTS DE LA VIOLENCE

Prévenir la violence entre usagers et professionnels de première ligne 1/2

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PRÉVENIR LA VIOLENCE ENTRE USAGERS ET PROFESSIONNELS DE PREMIÈRE LIGNE 1/2
Réflexion à partir d’expériences formatives auprès de professionnels de la Seine-Saint-Denis

Emmanuel Meunier, chef de projet à la MDPCR, Conseil Général de la Seine-Saint-Denis.
Martin Bakero Carrasco, Univ Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, CRPMS, EA 3522, 75013, Paris, France ; Univ Diego Portales, Magister de Psicoanalisis, Santiago, Chile
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Sommaire de la 1ere partie

Contexte de mise en place d’une formation sur la prévention des situations de violences.

I. Développer une habileté à communiquer en équipe sur les situations de violence

1. Lever des obstacles à l’échange sur les situations de violence : surmonter les effets de censures

A. Le « pacte de dénégation »

B. La dégradation du langage

C. L’invasion de l’imaginaire par les fantasmes qu’inspire la « perversion »

2. Développer une habileté à échanger sur les situations de violence, mais sans fétichiser les mots

A. Le Lexique : les mots forment une palette de couleurs

B. Avoir un rapport créatif au langage

C. Développer la confiance mutuelle

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Contexte de mise en place d’une formation sur la prévention des situations de violences

La Mission départementale de prévention des conduites à risque de Seine-Saint-Denis (MDPCR) est un centre de ressource dont le rôle est de venir en appui aux professionnels du social, de l’éducatif et du secteur sanitaire du département lorsqu’ils sont en difficultés face aux conduites à risque de leurs publics. La notion de conduites à risque permet de penser un champ mitoyen à celui de la protection de l’enfance, où le sujet est moins mis en danger par son environnement, qu’auteur, dans un contexte de vulnérabilités sociales et psychoaffectives, de mises en danger de soi par des pratiques à risques, des conduites auto et/ou hétéro agressives et/ou des conduites de rupture avec leur environnement. La MDPCR propose sur ces thématiques des formations, des outils de prévention ainsi que des appuis aux expériences innovantes.

Parmi les demandes adressées par les professionnels de terrain, celle de la prévention des situations de violence, revient fréquemment, d’où la mise en place d’un module de quatre jours de formation, qui a été élaborée par Martin Bakero Carrasco, psychologue et psychanalyste, et Emmanuel Meunier, chef de projet à la MDPCR. Cette formation a été intitulée : « Lexique de la violence, des maux aux mots, de l’interdire à l’entre-dire. »

L’objectif de la formation « Lexique de la violence, des maux aux mots, de l’interdire à l’entre-dire » est de réassurer les professionnels en les aidant à prendre conscience des compétences qu’ils mettent déjà en œuvre, au quotidien, pour contenir les violences. 

Il s’agit aussi de les aider à développer une intelligence collective pour que les équipes deviennent porteuses de stratégies de prévention. Cette intelligence collective suppose une habileté à dialoguer et à échanger sur les situations de violence, d’où une place particulière accordée à la question du langage au cours de la formation. Toutefois, bien d’autres compétences entrent en jeu dans la prévention des situations de violence, en telles sortes que la formation valorise des postures professionnelles individuelles et collectives qui ont des effets d’apaisement.

Une cinquantaine de stagiaires ont participé à trois ateliers. Les outils de formations ont été évalués avec les participants et réajustés à partir de leurs observations, en telle sorte qu’a émergée une démarche formative où les apports théoriques ont été ponctués de travaux ludiques, collectifs et participatifs.

A la recherche de métaphores qui permettent, sans le figer, de synthétiser notre propos, nous avons été amenés, peu à peu, à élaborer une métaphore inspirée par l’œuvre de Karl Marx et que nous avons intitulée la métaphore du « capital de violence », que nous présentons dans la dernière partie de l’article. 

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I. Développer une habileté à communiquer en équipe sur les situations de violence

1. Lever des obstacles à l’échange sur les situations de violence : surmonter les effets de censures

Notre premier constat fut celui d’une difficulté des professionnels à parler des situations de violence qu’ils subissaient au sein de l’espace de travail, et nos échanges avec les stagiaires nous ont conduit à repérer trois effets de censure de natures différentes.

A. Le « pacte de dénégation »

Le premier effet de censure peut être rapporté à un « pacte de dénégation » [Kaes, 1976], c’est-à-dire un silence partagé nécessaire au maintien de l’unité du collectif de professionnel. Comme l’affirme un proverbe anglais, « on ne parle pas de sexe et de politique à table pendant les dîner de famille » ou bien encore, on n’évoque jamais la liaison du Directeur avec sa secrétaire… Il est des faits bien connus de tous au sein des groupes, mais que chaque membre passe sous silence, d’une part, pour protéger la cohésion du groupe et, d’autre part, pour s’affirmer à la bonne intégration au groupe.

Le problème, ici, est que les actes de violence peuvent être intégrés au « pacte de dénégation ».

 

Dans ce cas, chacun s’emploie à les relativiser ou même à les dénier, notamment parce que la survenue de la survenue de la violence affecte la bonne image que le groupe de professionnels a de lui-même : si nous sommes de « bons professionnels », « compétents », ce genre de chose n’arrive jamais ! A moins qu’il y ait, de l’avis général, un « mauvais professionnel », un incompétent, qui génère justement ce type d’évènement. La crainte d’évoquer ces faits s’organise autour de la peur des agressés d’être perçus comme incompétents, par la crainte de ceux qui ne le sont pas d’être suspectés d’entretenir des liens de connivence déloyaux avec le public, par la crainte de mettre au jour des dysfonctionnements du service, de provoquer un clivage entre professionnels qui ne partageraient pas la même analyse des phénomènes de violence ou de tendre les relations avec une hiérarchie qui craint d’être mise en cause pour n’avoir pas donné à son personnel les moyens suffisants pour endiguer la violence… Au travail, il peut y avoir une multitude de « bonnes » raisons d’éviter à éluder la question.

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B. La dégradation du langage

Un second effet de censure est produit par un effet de dégradation de l’usage de la langue. Victor Klemperer, dans son « LTI, la langue du IIIe Reich » [1947] et George Orwell, inventeur de la « novlangue » dans son roman « 1984 » [1949], montrent que l’on peut censurer sans couper la parole et sans caviarder les textes : il faut pour cela dégrader la langue pour faire en sorte qu’elle ne permette plus aux individus de communiquer efficacement, de se comprendre et de décrire subtilement les faits et les ressentis. Parmi les stratégies de dégradation de la l’usage de langue, l’euphémisation tient une place de choix. On déniera l’existence même de la violence, en parlant de « stress au travail », pour sous-entendre que le problème vient du professionnel qui ne sait pas gérer son stress. Où on la requalifiera avec des terminologies issue de jargons juridiques ou « psy » (incivilité, troubles du comportement) qui ont pour effet de convaincre le professionnel de terrain qu’il n’est pas qualifié pour penser les situations de violence qu’il rencontre.   Mais nous avons été surtout frappés par la prégnance d’une sorte de « novlangue » caractérisée par l’usage inflationniste du mot « violence. » Et cela, alors même qu’il existe dans la langue française des centaines de mots pour parler subtilement de la violence. Ce que nous avons pris le temps de vérifier en rédigeant un « Lexique de la violence » – que nous mettons à disposition des stagiaires de la formation – et qui contient plusieurs centaines de mots, commentées et analysées, parmi lesquelles :

Abuser, Affrontement, Autoritarisme, Bouc émissaire, Chahut, Colère, Combativité, Conflit, Cruauté, Culpabiliser, Défier, Destructivité, Dominer, Exclure, Fureur, Grossièreté, Haine, Harceler, Humilier, Indifférence, Insolence, Intimider, Lyncher, Manipuler, Mépriser, Provocation, Racisme, Révolte, Rivalité, Sadisme, Stigmatiser, Transgresser, Venger, Violence institutionnelle, Xénophobie, Zizanie…

Quel est le sens de cette dégradation dans l’usage de langue ? Quand on s’efforce de nommer subtilement les processus à l’œuvre dans une situation de violence concrète, quand on use des ressources qu’offre la langue… nous redécouvrons « l’humain. » Dans une situation de violence il y a des sentiments, des émotions, des souffrances, des rapports de forces, des rapports de dominations, des emballements… L’usage inflationniste du mot « violence » a pour effet d’abraser cette part « humaine » (même si cette part « humaine » n’est pas la meilleur part de l’homme) inhérente aux situations de violence. On découvre alors que le mot « violence » a une fonction analogue, dans notre société laïque, à celle du mot « mal » ou du mot « péché » dans la société théocratique : le mot « violence » désigne ce qui blesse notre représentation de l’homme, de même que le péché et le mal est ce qui déplaît à Dieu. L’usage inflationniste du mot violence nous permet de faire l’économie d’une confrontation avec cette évidence : la violence est humaine, et par conséquent, elle nous anime nous aussi.

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C. L’invasion de l’imaginaire par les fantasmes qu’inspire la « perversion »

Un troisième effet de censure est lié à un effet de surinterprétations des situations de violence. Nous baignons dans un contexte culturel où l’image du « pervers » et du « psychopathe » joue un rôle croissant, comme en témoigne les séries télé qui regorgent de cadavres découpés, les romans qui citent de travers la « banalité du mal » d’Arendt [1966] pour nous faire croire à la fable du tortionnaire qui logerait en monsieur et madame « tous le monde », dans les journaux télévisés qui nous jettent au visage l’horreur du monde sans la médiatiser par une parole à même de l’analyser. Last but not least, certains discours politiques s’emploient à amplifier nos angoisses à des fins toutes électoralistes. Ce contexte culturel nous pousse à inférer des intentions cruelles et destructrices, traversées par une « jouissance », une « extase » à faire le mal, lorsque nous analysons les manifestations violentes dont nous sommes témoins. Alors même que, dans les faits, les motifs des violences sont généralement très petitement humains : il y a des gens en colère, des gens envieux, des gens indignés, des gens qui croient qu’on va les agresser et donc qui agressent, etc…

Il importe de prendre de la distance avec ce contexte culturel, en le reconnaissant comme une production sociale et historique propre à notre époque. Par le passé, lorsqu’à la fin de l’antiquité le travail esclave disparaît et que les hommes deviennent de plus en plus étroitement dépendant de la force de travail d’animaux encore mal domestiqués, la « bestialité » a émergé comme la grande figure du mal. L’imaginaire est alors envahi de loup-garou et de sorcières qui mutent en chat, et la démonologie dévoile un bestiaire peuplé de chimères infernales. A partir du XVIIIe siècle, quand les conditions matérielles d’existence rendent les hommes étroitement dépendants des machines, émerge la figure du « démiurge destructeur ». L’imaginaire se peuple alors de savants fous, tel Frankenstein et Némo, de personnages de l’ombre qui hourdissent de savantes machinations, d’extra-terrestres qui détiennent une puissance technologique absolue et de pétroleuses et d’anarchistes qui activent des machines infernales.

 

Nous dépendons de plus en plus étroitement de l’image, de la spéculation, des médias, des outils de communication ainsi que de mondes « virtuels » que nous sommes loin de maîtriser, bref, nous qui vivons dans un monde où la réalité et sa représentation se compénètrent. Dans notre monde émerge nécessairement une figure du mal qui prend la forme d’êtres doués d’un pouvoir de manipulation de nos représentations et de notre image, et qui en usent pour réaliser leurs fantasmes.

Il ne s’agit pas de nier ici l’existence des pervers et de déclarer infondée l’angoisse qu’ils nous inspirent. Après tout la « bestialité » s’est « incarnée » chez les huguenots et les catholiques qui s’entre-égorgèrent comme des moutons, dans la figure de l’Amérindien qui sera exterminé comme un nuisible ou celle de l’Africain qui sera transformé en bête de somme.

Le « démiurge destructeur » s’est « incarné », dans la guerre mécanisée, le consortium du goulag qui exploitait les zeks jusqu’à la mort, les camps-abattoirs humains des hitlériens ou encore dans la puissance destructrice d’Hiroshima.

Nous avons certainement de très bonnes raisons de craindre l’avènement d’une puissance capable de manipuler notre représentation du monde et de notre image. Les « armes de destructions massives » fantasmatiques et les « ennemis invisibles » que l’on invoque pour justifier des guerres là pour nous rappeler la fragilité de nos mécanismes de défense face à ce type de manipulation.

Mais, dans le concret du travail quotidien, le professionnel rencontre d’abord et avant tout des gens en colère, des personnes qui, a tord ou à raison, se sentent humiliées, des gens jaloux, des rivaux, etc., bref, des situations banalement humaines.

Ce lexique est donc un outil conçu pour aider le professionnel à déjouer les effets de censure, ceux qui pèsent sur lui-même comme ceux qui pèsent sur le collectif de travail.

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2. Développer une habileté à échanger sur les situations de violence, mais sans fétichiser les mots

L’enjeu est de créer les conditions par lesquelles un collectif de travail consent à aménager un espace de dialogue sur les situations de violence qu’elle rencontre.

Le problème est que ces situations sont chargées d’affects pour les professionnels qui y ont été directement exposés, mais aussi pour tous les autres, dans la mesure où la situation perturbe, d’une part, l’image que le collectif de travail a de lui-même et, d’autre part, les représentations que chacun des professionnels se fait de la violence.

Cet espace d’échange est facilité si le collectif de travail s’attache à prendre le temps de décrire les situations de violence, c’est-à-dire s’efforce de distinguer les faits du ressentis, les représentations des acteurs de celles des témoins.

 

Cet effort descriptif induit une prise de distance avec la recherche « d’explications » et par conséquent prévient l’irruption intempestive du jugement, de la stigmatisation, de l’étiquetage qui fabrique à son tour de la violence. Car, dès que l’on s’efforce de décrire, on délaisse le simplisme pour apercevoir des « tresses causales » [Levet, 2011, p. 14], c’est-à-dire, non seulement de la multi-causalité, mais, aussi le fait que chaque « brin » causal est en interaction avec les autres et n’est actif qu’autant qu’il est inclus dans la « tresse. » Cet espace d’échange suppose aussi une intelligence collective, c’est-à-dire une conviction partagée qu’il y a des enseignements collectifs à tirer des situations de violence rencontrées et que l’on a intérêt collectivement à élaborer collectivement sur celles-ci pour prévenir leur envenimement. 

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A. Le Lexique : les mots forment une palette de couleurs

Les mots sont porteurs de significations plurielles et ne sont donc par toujours compris de la même manière par chacun de nous. Nombre d’articles du Lexique montrent la richesse de sens et la diversité d’emploi d’un même mot. Avec des mots, utilisés sans définition claire, on peut donc créer de l’incompréhension et peut-être ajouter de la violence à la situation de violence.

Les mots sont comme une palette de couleurs. Pour peindre, il faut parfois mélanger des couleurs et en créer de nouvelles. La totalité des mots du Lexique, même s’il était exhaustif, ne suffirait pas à décrire la totalité des situations de violence possibles. Il faut donc nuancer, et s’autoriser à forger des nouveaux mots !

La lecture du Lexique, par ses retours sur l’étymologie, révèle la créativité du langage : quand les hommes furent confrontés à des formes de violence qui leur étaient inconnues, ils utilisèrent divers procédés. On en reconnaîtra ici quelques uns :

- Le procédé déonomastique consiste à créer un mot à partir d’un nom propre : Dracon a donné draconien, William Lynch a donné le mot lyncher, Machiavel, machiavélique, Mani, manichéisme, Leopold von Sacher-Masoch, masochisme, le dieu Pan, panique, Donatien Alphonse François, comte de Sade, Sadisme… Ce procédé se retrouve dans le langage familier, par exemple, lorsque l’on dit à quelqu’un « ne fais pas ton Untel. »

- Le procédé onomatopéique consiste à créer un mot en imitant des sons. Ainsi le mot barbare vient de « bar-bar » représentant les sons grossiers et incompréhensibles prononcés par des hommes qui parlent une langue incompréhensible ; le mot bisbille imite le « pssi-pssi » que font les médisants et les querelleurs lorsqu’ils chuchotent ; persifler imite le « pffff – ssssiii » mêlant le mépris et le sifflet ; et traquenard imite le « tracata » du galop des chevaux des assaillants qui fondent sur vous. Ce procédé se retrouve dans le langage familier, par exemple, quand on dit « il lui a scratché la tête » (onomatopée désignant le décollement).

 

- Le procédé qui consiste à rapporter une forme de violence à des phénomènes physiques, chimiques ou organiques. Ainsi, acrimonie renvoie au latin acrimonia (âcreté), causticité au latin causticus (qui brûle, qui corrode), colère au cholera et à la kholê des grecs (bile), envenimer au venin, fielleux renvoie au latin fel (sécrétion du foie). Ce procédé qui fait appel à la chimie se retrouve dans des expressions du type « il l’a explosé, pulvérisé ».

- Le procédé qui consiste à construire un mot à partir de mots évoquant des mouvements : agresser vient du latin aggredi (aller vers, marcher de l’avant) ; bousculer est formé des mots du français moyenâgeux bousser (heurter) et culer (marcher à reculons) ; chahut à partir de cachucha (danse andalouse) ; défoulement à partir de l’ancien français defuler (fouler aux pieds) ; insulter signifie littéralement « sauter dedans » (le sultare latin – sauter – dérivant de saltare – danser) ; révolter, étymologiquement, signifie donc « re-tourner. » Ce procédé se retrouve dans des expressions du type « il l’a coursé ».

- Le procédé qui consiste à créer un mot à partir d’un signifiant qui euphémise la violence réelle : Humilier et omerta dérive de humiliare qui signifie « rendre humble » ; intimider signifie littéralement « rendre timide » ; quereller vient du latin querela « plainte en justice » ; provoquer vient de provocatio, qui signifiait « faire appel de sa cause devant le peuple » et vengeance vient de « vindicare » (réclamer en justice). Des expressions comme « lui apprendre le respect », « se faire justice », « le mettre à l’amende » renvoie au même type de procédé.

- Le procédé consistant à fabriquer des néologismes sur le modèle de xénophobie (homophobie, islamophobie, judéophobie…) ou celui de racisme (sexisme, antisémitisme).

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B. Avoir un rapport créatif au langage

Outre le « Lexique » que nous distribuons au stagiaire, le travail sur les mots se fait au travers de deux types d’exercices, dont la finalité est de rendre sensible les incompréhensions qui ne peuvent manquer de perturber les échanges, si l’on ne prend garde d’énoncer le sens dans lequel on emploie tel ou tel mot.

Un premier exercice est purement ludique. Les stagiaires sont groupés par trois, et chaque sous-groupe tire dans un chapeau un papillon sur lequel est inscrit un mot comme « haine », « colère », « mépriser », « ressentiment »… Leur consigne sera d’expliciter ce mot au grand groupe.

Mais avant, en fonction du mot, ils reçoivent une fiche avec plusieurs exercices. Le premier exercice consiste à trouver des « homophones ». Par exemple, le groupe qui aura pioché « Mépriser » pourra trouver des « mets prisés » et celui qui aura pioché « colère » pourra trouver « molaire » ou « solaire ». Puis il leur est demandé de trouver un « mot-valise ». Par exemple, le groupe qui à pioché « mépriser » pourra trouver un « méprisophage » pour désigner une personne qui se nourrie de son mépris, et le groupe qui aura pioché « colère », une « crocolère ». Ces premiers exercices ludiques visent à désamorcer la charge d’angoisse liée à ce que représente le mot, mais aussi à dépasser la fétichisation des mots : les mots ne peuvent pas tout dire, et sans doute faudrait-il en inventer des nouveaux pour désigner des nouvelles formes de violence.

D’autres exercices invitent les stagiaires à réfléchir sur des questions comme « à quoi reconnaissez-vous que quelqu’un méprise ? », « qu’est-ce qui est le plus violent : mépriser, être méprisé, être méprisable ? » ou « quels sont vos « antidotes » si vous êtes confrontés au mépris d’autrui ? ».

 

Ces questions convoquent la mémoire et la subjectivité. Elles permettent de saisir que non seulement les mots convoquent des affects, mais qu’une situation de violence particulière sera vécue de manières très différentes par les uns et les autres, selon les fragilités et les capacités de résistances et de résiliences des uns et des autres. L’un sera très sensible à l’agressivité et un autre au mépris qu’ont lui adresse.

Un autre exercice consiste à retrouver l’auteur d’une citation (le cas échéant en s’aidant du Lexique de la violence).

Par exemple ceux qui ont pioché « mépriser » doivent déterminer qui d’Alberto Moravia, d’Harold Searles ou de Jean Genet a pu écrire :

« Si je voulais qu’ils fussent beaux, policiers et voyous, c’est afin que leurs corps éclatants se vengeassent du mépris où vous les tenez. »

Qui a écrit : « C’est durant toute la vie que l’on a besoin d’éprouver mépris ou adoration, et cela non seulement pour parvenir à une évaluation réaliste de la réalité extérieur, mais aussi pour pouvoir procéder à une identification sélective – en s’assimilant les qualités désirables que l’on perçoit chez les autres et en barrant la route aux traits de personnalité indésirables. »

Et qui a écrit : « Le plus dur pour moi, outre de n’être plus aimé, c’était d’être méprisé ; mais incapable de trouver à ce mépris une explication quelconque, si légère fût-elle, j’éprouvais une vive sensation d’injustice et en même temps la crainte qu’il n’y eût pas injustice et que ce mépris fût bien fondé, incontestable pour les autres, inexplicable pour moi. »

Cet exercice attire l’attention sur la pluralité des sens d’un même mot.

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C. Développer la confiance mutuelle

Ces jeux favorisent aussi l’émergence d’un climat de confiance mutuelle entre les stagiaires, qui est indispensable à la suite de la formation. Les stagiaires sont, en effet, invités à rapporter une situation qu’ils ont vécue, et, mieux, à devenir acteurs dans des jeux de rôle. Cette forte implication personnelle n’est rendue possible que par une prévenance collective, certaines situations évoquées pouvant être la source de « traumatisme professionnel » qui ont conduit le stagiaire à s’interroger radicalement sur le sens de son travail et de son engagement professionnel.

Lire la suite :

Prévenir la violence entre usagers et professionnels de première ligne 2/2

 

Bibliographie à la fin de la 2e partie

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Prévenir la violence entre usagers et professionnels de première ligne 2/2
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PRÉVENIR LA VIOLENCE ENTRE USAGERS ET PROFESSIONNELS DE PREMIÈRE LIGNE 2/2
Réflexion à partir d’expériences formatives auprès de professionnels de la Seine-Saint-Denis

Emmanuel Meunier, chef de projet à la MDPCR, Conseil Général de la Seine-Saint-Denis.
Martin Bakero Carrasco, Univ Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, CRPMS, EA 3522, 75013, Paris, France ; Univ Diego Portales, Magister de Psicoanalisis, Santiago, Chile
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Sommaire de la 2e partie

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II. Développer les habiletés pour gérer la violence et construire une intelligence collective dans les équipes

1. Violence, mécanismes de défense et postures individuelles du professionnel

A. La métaphore du « capital » de violences subies

B. L’ « entrepreneur » de la violence

C. La « force de travail » de la violence

2. Violence et intelligence collective des équipes

A. Des « moyens de production » de la violence

B. Des « superstructures » contenantes face à la violence

a) Le cadre, la Loi et la règle

b) L’autorité

c) La cohésion d’équipe

C. la « superstructure culturelle », entre exutoire et exacerbation de la violence

D. la « plus-value » de la violence

E. le « capitaliste » de la violence

Conclusion

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II. Développer les habiletés pour gérer la violence et construire une intelligence collective dans les équipes

La violence se manifeste comme une force qui vient paralyser la capacité à penser, le temps d’un instant (si l’on est frappé de stupeur) ou le temps de la situation (si l’on passe à notre tour dans un agir réactif qui nous met en miroir avec l’agresseur). L’enjeu est ici de relancer les processus de pensée, en développant sa propre capacité à évaluer la situation.

Le travail sur les mots ne vise pas seulement à développer une aptitude à décrire rétrospectivement une situation, mais aussi à favoriser la reconnaissance des émotions des protagonistes (tonalité agressive, haineuse, indignée…) et d’en déduire la nature des projections qui sont à l’œuvre.

Cette capacité d’évaluation permet, individuellement, de prendre du recul. Mais l’enjeu de cette formation est aussi d’aider les professionnels à développer une intelligence collective et à stimuler la recherche de réponses préventives.

Un outil que nous avons intitulé la métaphore du « capital de la violence », ainsi nommée en hommage à Karl Marx, nous permet à la fois d’identifier des déterminants des situations de violence ainsi que des compétences susceptibles d’être mises en œuvre par les professionnels pour les contenir. Cet outil facilite une investigation de la situation en termes de « tresse causale. »
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1. Violence, mécanismes de défense et postures individuelles du professionnel

A. La métaphore du « capital » de violences subies

La première image de cette métaphore, est celle du « capital de violences subies ». Elle exprime l’idée que chacun d’entre nous dispose d’un capital négatif, constitué d’épreuves et d’expériences de violences subies, qui se sont accumulées en nous.

L’éducation et le processus de refoulement contribuent à cette accumulation : la violence subie, que nous renonçons à extérioriser, notamment en inhibant nos propres impulsions à réagir, reste en nous, et demeure en quelque sorte disponible pour être ultérieurement manifestée.

Bourdieu [1996] parle même de la « loi de conservation de la violence », notion qu’il emprunte à V Grossman [2010, p. 999] qui postule que toute violence subie est appelée à ressurgir sous une forme ou une autre, un jour ou l’autre. Certains, chanceux, ont un petit « capital » de violences subies et d’autres, malheureusement, ont accumulés au cours de leur histoire personnelle un gros « capital ».

Ce « capital de violences subies » peut être « thésaurisé. » Les violentés peuvent cultiver leur ressentiment, comme le décrit par Nietzsche dans sa « Généalogie de la morale » [2006, p. 35 / I, §10] : les violentés se « grandissent » moralement en développant le sentiment d’appartenir à une race de justes qui subit l’oppression d’une race de méchants.

La violence subie peut être valorisée sous forme de marqueur identitaire, comme le signale aussi I. Goffman [2007], lorsqu’il décrit le processus de « retournement du stigmate » qui permet au sujet de se valoriser grâce aux qualités pour lesquelles il est justement rejeté.Le processus dit de « victimisation » pousse à son terme l’identification du sujet à sa « condition » de victime.Ce « capital » peut se transmettre et s’accumuler d’une génération à l’autre : ainsi du ressentiment entre des familles rivales ou des peuples, qui peut perdurer pendant des siècles.

On peut d’ailleurs se demander si, à l’instar du psychotique – qui apparaît dans une famille après plusieurs générations d’individus ayant subit des situations de détresse psychique -, si les individus que nous nommons « violents » ne sont pas le fruit de situations de violences accumulées sur plusieurs générations [Dolto, 1988], qui ont transformée la violence en habitus, en unique mécanisme de défense face à la souffrance qu’engendre la violence.

Quelle posture le professionnel peut-il développer face à cet aspect de la situation de violence ? La prise en compte du « capital de violence subie » de son public favorise l’adoption, par le professionnel, d’une série de « postures » contenantes. La connaissance fine des heurts qui ont pu ponctués les parcours de vie facilite l’adoption d’une attitude prévenante. Elle aide le professionnel à déterminer, avec les publics, des objectifs et des projets réalistes, qui préviennent les mises en échec [Declerck, 2003, p. 325] (génératrice de désespérance et parfois de violences), qu’induiraient des objectifs à trop haut seuil d’exigence. La méconnaissance de ces parcours induit des attentes irréalistes chez le professionnel, qui génère une frustration, voir un ennui et un désinvestissement des publics qui « stagnent » et qui apportent peu de satisfactions. L’adoption de mécanisme de défense, comme la « distance » avec le public, peut se révéler à double tranchant. Si elle permet de prendre un recul nécessaire, elle peut aussi se muer en une forme d’anesthésie [Bensayag, Rey, 2008, p. 91] face à la répétition des mêmes situations de détresse chez un public, ou chez un même individu. Un tel désintérêt risque d’éveiller et de réactiver, chez les usagers, des sentiments d’abandon, de mépris, de dépréciation vécue précocement et de contribuer à la violence. En somme, entretenir sa capacité à investir son public, en valorisant sa propre capacité à aider les publics à atteindre des objectifs réalistes, semble une posture qui prévient le surgissement des tensions.
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B. La métaphore de l’ « entrepreneur » de la violence

Pour fabriquer de la violence, il faut que notre détenteur d’un capital de violences subies se mue en entrepreneur, il faut qu’il « investisse » son « capital. » De même que Marx différentie plusieurs types d’entrepreneurs, comme les industriels, les banquiers et les commerçants, nous pouvons en différencier plusieurs types d’ « entrepreneurs de la violence ». Par exemple, l’homme agressif, l’homme haineux et l’homme indigné.

L’agressif, c’est celui qui veut s’affirmer face à autrui. Il extériorise un « Moi » tout puissant, passablement infantile, parfois appelé « moi idéal » [Lacan, 1948, pp. 667s].

L’haineux, pour pouvoir exister, voudra détruire l’autre et lui imputera des qualités négatives pour justifier ses attaques (1).

L’homme indigné, pour légitimer sa colère, convoquera les idéaux et les valeurs du groupe qu’il percevra comme menacés.

Quelle posture le professionnel peut-il développer face à cet aspect de la situation de violence ? Si cette violence m’est adressée, est-ce à « Moi », en tant qu’individu, que professionnel, que membre d’un groupe d’appartenance ? Est-ce « Moi » qui est attaqué ou le fait que je sois perçu comme un maillon d’un processus perçu comme violent (est-ce l’enseignant qui est attaqué ou l’apprentissage perçu comme pénible, dévalorisant et inutile par certains élèves ?) Et, ce que l’autre m’impute, existe-t-il en Moi ou le projette-t-il sur moi m’identifiant à des agresseurs auxquels il a été confronté par le passé (est-ce moi, quand j’exerce l’autorité, qui est attaqué ou une image parentale détestée ?)

Certains mécanismes de « défense » utilisés par les professionnels peuvent se retourner contre ceux-ci.

Pour se sentir plus puissant, le professionnel pourra prendre de la « hauteur » et parler au nom de l’institution, de la loi, de la morale, bref adopter une posture impérative et impersonnelle. Position risquée, car susceptible de produire un effet de miroir : la toute puissance de l’agresseur vient alors se heurter à la toute puissance du professionnel qui énonce implicitement « l’institution, c’est moi », « la loi, c’est moi », « la morale, c’est moi. » Posture qui risque de cristalliser sur lui toute l’agressivité, puisqu’il accepte d’« incarner » l’institution, la loi, la morale, c’est-à-dire ce qui frustre, ce qui contraint, ce qui juge… S’identifier au public n’est pas moins risqué car ce type d’identification génère tôt ou tard des conflits de loyauté intenables, le professionnel ne pouvant plus alors que trahir, ou ses obligations professionnelles, ou les attentes du public.

S’autoriser à être « soi-même » est pour nombre de professionnel un bon moyen de « casser » les projections. Etre soi (c’est-à-dire, par exemple, se manifester au travers de modalités d’accueil qui nous sont personnelles), permet de produire un écart entre ce que nous donnons à voir de nous-mêmes et l’image qu’autrui se fait « des gens comme moi ». En certaines circonstances, savoir énoncer ce que l’on ressent soi-même face à ce qu’autrui nous dit de lui, permet de rendre sensible notre empathie et de se décaler par rapport aux représentations qu’il se fait de professionnels « froids et distants. » Etre capable d’expliciter le fonctionnement de l’institution et les raisons qui justifient telle ou telle contrainte ou bien de rappeler les limites de sa propre fonction, permet de prévenir l’émergence de sentiments d’injustice ou d’être méprisé.
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C. La métaphore de la « force de travail » de la violence

La troisième image de notre métaphore est celle de « la force de travail de la violence ». Chez Marx, la force de travail s’apprécie, d’une part, comme une énergie extériorisée par le prolétaire et, d’autre part, comme une usure et une aliénation du prolétaire lui-même.

L’énergie de la violence est également ambivalente. La violence subie et accumulée peut être extériorisée sur autrui, mais aussi bien retournée contre soi, sous l’effet d’une culpabilisation, qui peut conduire à l’auto-agression. Les deux processus d’extériorisation et de retournement contre soi s’autoalimentent : l’extériorisation de la violence peut, dans l’après-coup, induire la honte, la culpabilité et l’autopunition. Mais on peut aussi s’agresser soi-même, voir se suicider, pour faire culpabiliser les autres. Les deux mouvements peuvent d’ailleurs s’entrelacer : par exemple l’abandonnique préféra faire son propre malheur en détruisant l’être aimé, plutôt que de s’exposer au risque d’être abandonné par l’être aimé et revivre la souffrance liée à des situations d’abandon précoce. Freud [1976, p. 133 ; 1985] identifie un profil psychologique qu’il nomme « criminel par sentiment de culpabilité », qui correspondant à des individus qui se sentent coupables sans savoir de quoi (culpabilité inconsciente), et qui passent à l’acte dans le seul but de donner une « raison » objective à leur sentiment de culpabilité. Ici, la culpabilité n’est pas la conséquence du passage à l’acte mais, paradoxalement, sa cause. La colère, dont Aristote [Reth., II, II, 1] nous dit qu’elle est à la fois une envie de se venger et une peine est un point nodal de ces deux mouvements opposés d’extériorisation de la violence sur autrui et de retournement de la violence contre soi.

Quelle posture le professionnel peut-il développer face à cet aspect de la situation de violence ? Pour répondre efficacement dans ce type de situation, le professionnel doit contrôler ses propres affects (agressifs, haineux, indignés…) qui pourraient l’amener à sur-réagir à la situation et à se placer « en miroir » avec l’agresseur. Mais il doit aussi contrôler sa propre tendance à culpabiliser, sa crainte paranoïde d’être jugé par ses pairs [Rojzman, 2008, pp. 109-112], sa honte de ne pas être à la hauteur. Les sentiments de honte et de culpabilité, lorsqu’ils envahissent le professionnel, tendent un autre miroir à l’agresseur, en donnant à voir un état d’angoisse que l’agressif tente justement d’étouffer en lui-même en se manifestant violemment.

Le mécanisme de défense qui consiste à s’affirmer comme hyper-compétent se révèle ici à double tranchant. Si l’affirmation des compétences satisfait le narcissisme du professionnel et rassure et impressionne (un temps) son public, elle rend délicate la gestion de la violence. Gérer la violence implique, en effet, de s’autoriser à fuir lorsque l’on se sent en danger, de reconnaître que l’on a pu se tromper, de penser sa responsabilité personnelle en interaction avec des responsabilités plus larges, celle du collectif de travail, celle de l’institution, ou celle de la société. Nombre de professionnels insistent ici sur l’importance d’une lutte contre l’isolement du professionnel, qui doit se sentir inclus dans une équipe et dans un réseau de partenaires.

Il y a des postures individuelles plus ou moins efficace face à la violence. Mais la qualité du vivre ensemble au sein d’une équipe est déterminante. Plus le vivre ensemble est dégradé, plus les professionnels ne sont contraints à adopter des mécanismes de défense puissants pour se protéger de la souffrance qu’engendre le travail. Plus l’anxiété est forte, plus le public est mis « à distance », plus le professionnel doit s’affirmer comme « compétent » face à un public « incompétent », moins il est possible d’analyser les situations et de prendre du recul.

Comme l’écrit C. Dejours [2011, p. 53] : « si la violence se développe, c’est toujours dans la logique de stratégies de défense contre la souffrance. » Conjuration de la souffrance par l’usager, qui agresse par crainte de revivre des souffrances déjà subie ; conjuration de la souffrance par le professionnel qui adopte des stratégies de défense massive face au public.

Or la stratégie de défense est toujours la plus fatale. Comme le dit très justement René Girard [2011, p. 52], « celui qui croit maîtriser la violence en organisant la défense est en fait maîtrisé par la violence. » Au lieu de traiter en amont le conflit, celui qui adopte une position défensive ne fait que différer l’affrontement, en lui laissant du temps pour qu’il se « charge » en intensité, en telle sorte que l’affrontement aura une violence décuplée.
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2. Violence et intelligence collective des équipes

Le La gestion de la violence n’est pas – du moins pas exclusivement – affaire de compétences individuelles. Elle suppose une intelligence collective qui affirme du lien social, sous la forme d’un « esprit d’équipe », d’une cohésion du collectif de travail. C’est la qualité de ces liens interpersonnels entre professionnels et l’affirmation collective que la violence est un objet de travail commun qui peut s’avérer contenant dans bien des situations de violence.

A. La métaphore des « moyens de production » de la violence

La quatrième image que nous empruntons à Marx est celle des « moyens de production ». Les « moyens de productions » de la violence peuvent être très primitifs ou très sophistiqué. La violence peu être brutale, physique, grossière. Elle peut, au contraire, requérir de vrais savoir-faire, dans le maniement de la langue et le sens de la répartie, comme chez l’ironiste ou l’insolent, ou bien d’aptitude à contrôler autrui, comme chez le manipulateur ou l’harcelant. La violence peut aussi exercée individuellement, en « libéral », ou être collective et requérir des compétences pour mener tout un groupe.

Le mode de production de la violence peut exercer sur le professionnel frayeur ou séduction, rejet de l’agresseur ou identification à l’agresseur (2), processus très dépendant des projections du professionnel sur son agresseur.

L’un saluera chez la brute son « franc-parler », quand l’autre rejettera ses manières de rustre. L’un détestera l’ironiste qu’il qualifiera de pervers, quand un autre avouera qu’il n’est pas dénué d’humour. L’un verra un chahut, là où un autre verra un lynchage. A l’intérieur de chacun de nous se manifeste une ambivalence, faites de sentiments de répulsion et fascination pour la violence, qu’atteste bien l’intérêt assez général des êtres humains pour les romans policiers, les films violents ou les faits divers.

Les professionnels doivent prendre conscience de ce qu’ils projettent sur l’auteur de violence, aussi bien négativement que positivement. D’autant plus qu’il y a un fort risque pour les professionnels de se cliver selon leur ressenti de chacun. C’est ici qu’apparaît l’intérêt à développer une intelligence collective. Soit le groupe de professionnels se clivera, soit il tirera parti de la complémentarité de chacun de ses membres. Si l’un supporte, mieux que d’autres, tel genre d’énergumène… Et bien tant mieux, il pourra aisément prendre le relais. Et inversement, si l’un est particulièrement vulnérable face à tel type d’agresseur, il pourra passer le relais.

La régulation de la violence au sein d’une équipe nécessite des échanges sur les situations de violence, mais aussi sur le ressenti de chacun face aux différents types de violence.
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B. La métaphore des « superstructures » contenantes face à la violence
a) Le cadre, la Loi et la règle

La cinquième image que nous empruntons à Marx est celle des « superstructures ». Le procès de production, chez Marx, est conçu comme se déroulant dans une société donnée, qui dispose d’un cadre juridique, politique et social. Ces cadres rétroagissent sur la production (droit du travail droit commercial, politique industrielle, subvention publique, syndicat).

Les cadres juridique, politique et sociaux rétroagissent sur les situations de violence et induisent des réponses institutionnelles spécifiques. Les institutions sont légitimes à intervenir face à la violence : laisser libre court à la violence, se serait laissé se créer un monde où nul ne pourrait avoir « confiance dans le monde » [Améry, 2005, p. 71]. La superstructure, c’est finalement l’ensemble des cadres qui créent les conditions nécessaires à l’éclosion de rapports de confiance suffisant entre les individus pour qu’ils puissent vivre ensemble et coopérer. Les cadres prennent leur sens dans la mesure où ils sont en accord avec une Loi générale qui énonce que nous devons, pour vivre ensemble, pouvoir établir des liens de confiance suffisant.

Reste que cette Loi – parce que trop abstraite -, n’est écrite nulle part. Mais, les règles qui structurent les cadres sont là pour soutenir cette Loi. Les règles prescrivent des conduites auxquels ont se soumet pour préserver les liens de confiances réciproques. Les institutions ont développé une palette d’outils, comme la sanction, la discipline, l’interdit ou l’exclusion, pour préserver ces cadres. La sanction (dans la mesure où elle permet au sujet d’accéder à la culpabilité et à s’identifier à l’autre souffrant), la discipline (dans la mesure où sa contrainte est proportionnée à l’objectif d’aider l’individu à progresser avec les autres), les interdits ou le développement de l’autocontrôle de soi (dans la mesure où ils permettent d’accéder à la richesse des liens sociaux et affectifs) sont absolument nécessaire à la création d’espace sociaux où les liens de confiance sont possibles.

Reste que le « malfaisant » peut jouer des règles contre la Loi : la sanction peut se muer en une punition humiliante qui obligera à la soumission, l’autorité peut se muer en un autoritarisme qui inspire la crainte pour mieux dominer, les interdits peuvent se transformer en outils de répression de la différence.

Sans aller jusqu’à l’exemple du « malfaisant » qui se sert de la lettre de la règle contre l’esprit de la loi, il existe toujours un écart entre les règles – qui forment un cadre technique -, et les Lois qui forment un cadre éthique, un autre problème vient des attitudes normatives, conformistes et rigides, où on applique « bêtement » les règles. Il se peut même que le professionnel ait pour consigne d’appliquer « bêtement » les règles. C. Dejours [2000] définit la « souffrance au travail » en lien avec ce sentiment de ne pouvoir concilier le travail prescrit et sa propre éthique. La « professionalité » (3) consiste justement en une aptitude à accorder les règles et la Loi, le cadre technique et le cadre éthique, c’est-à-dire savoir appliquer les règles mais de manière assez souples pour qu’elles restent en accord avec l’esprit de la Loi. Par exemple, le cadre éthique de l’école recommande au professeur de former des citoyens, mais le cadre technique lui demande d’imposer le silence, de réprimer les bavardages et les chahuts, sans quoi il est impossible de faire classe. La « professionalité » du professeur, c’est celle de l’enseignant qui sait imposer le silence, pour faire cours, mais aussi pour pouvoir donner la parole à l’élève et lui donner la possibilité de se faire entendre.

L’intelligence collective du collectif de travail dépend de l’aménagement d’espace de dialogue entre professionnels, où l’application des règles peut être discutée et interrogée à l’aune d’une éthique collective et partagée.
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b) L’autorité

Le professionnel dispose d’une forme d’autorité vis-à-vis du public, qu’il convient d’interroger, car l’autorité peut facilement glisser vers l’autoritarisme, qui est toujours susceptible de générer de la violence. Le professionnel peut être amené, pour faire respecter le cadre de travail et le bon fonctionnement du service, à prendre des mesures d’ « autorité ». De telles mesures seront perçues comme acceptables si le professionnel dispose d’une « autorité » perçue comme légitime, c’est-à-dire fondée sur des compétences reconnues qui lui permette d’inspirer confiance. Le philosophe, Alexandre Kojève, dans « la notion d’autorité » [2004], distingue quatre formes d’autorité, celle du Père, du Maître, du Chef et du Juge, qui correspondent à quatre traditions philosophiques qui ont valorisée des compétences différentes. Transposée au cadre professionnel, l’autorité de celui que Kojève appelle le « Maître », renvoie au fait d’être compétent pour prendre des risques risque calculé au bénéfice de l’usager (par exemple l’encourager à faire une démarche dont l’issue n’est pas certaine, mais qui a de bonne chance de réussir en raison des bons conseils du professionnel).

L’autorité du « Chef » renvoie au fait d’être compétent pour aider l’usager à clarifier son projet et à mobiliser des ressources (internes et externes) qui en permettent la réalisation. L’autorité du « Juge » renvoie aux compétences qui permettent de produire de la réconciliation lors de conflits entre usagers, ou entre usagers et institutions. L’autorité du « Père » renvoie à une compétence qui permet d’expliciter le cadre éthique et le fonctionnement de l’institution, le sens qui préside à la création de cette attention. L’autorité personnelle d’un individu est toujours un mixte de ces différentes compétences. Certain, au sein d’un collectif de travail, sont plus ou moins doué pour intervenir en médiateur dans un conflit, d’autres sont plus doué pour expliciter posément le sens d’une mesure, quand tel autre se sentira l’assurance d’engager des démarches complexes et risquées… L’intelligence collective du collectif de professionnels dépend de la reconnaissance mutuelle de ces compétences et de la capacité des professionnels à percevoir leurs complémentarités et les appuis qu’ils peuvent mutuellement s’apporter.
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c) La cohésion d’équipe

La cohésion du collectif de professionnels est nécessaire à la préservation du sentiment de confiance. Les « failles » dans les équipes favorisent les « attaques », mais, avant tout génère une perte de sentiment de confiance dans les professionnels. Se pose alors la question des processus par lesquels une équipe maintien sa cohésion. La désignation de bouc émissaire [Girard, 2006] est un moyen, aussi dramatique qu’éprouvé, de resserrer les liens, car elle permet de restaurer la bonne image de soi du groupe, par le rejet sur une personne des difficultés rencontrées qui dévalorise le groupe [Bion, 2006]. Le bouc émissaire est celui qui est désigné comme responsable de l’échec du groupe, soit parce qu’en le tirant vers le bas, il le déconsidère, soit parce que, perçu comme « trop vertueux », il le met échec en lui imposant des exigences inatteignables.

L’intelligence collective du collectif de professionnel dépend ici d’une aptitude du collectif à accéder à une pensée critique et à des évaluations réalistes de ce que le groupe peut réaliser ou non.

Si la rigidité est instituée dans le management de l’institution, elle s’imposera aussi dans son fonctionnement des professionnels vis-à-vis du public. Si l’autoritarisme est le principe de fonctionnement de la hiérarchie, la coercition avec le public sera inévitable. Si, pour gérer ses tensions internes, la désignation de bouc émissaire est le mode de fonctionnement adopté par l’équipe, alors le public subira des exclusions. La prévention de la violence implique une réflexion sur le management, voir la mise en place d’un management participatif.
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C. La métaphore de la « superstructure culturelle », entre exutoire et exacerbation de la violence

La culture joue un rôle à part dans la pensée marxiste : elle est libératrice, en même temps que moteur d’idéologies qui fabriquent de la domination et de l’oppression.

Face à la violence, la culture, permet d’ouvrir des espaces où celle-ci trouve à se canaliser de manière socialement acceptables. Il en est ainsi de la fête qui autorise ponctuellement la transgression de certains interdits [Caillois, 1988]. Le processus de sublimation, chez Freud, rend compte du travail de la culture, qui permet, par exemple, de transformer une pulsion d’emprise enfantine, potentiellement cruelle, en une « pulsion de savoir », le savoir étant une manière socialement acceptable de dominer et de contrôler [Freud, 1962, p. 89 / II, §4]. Bion [1980 ; 2003] dit aussi qu’à coté des liens d’amour et d’haine, il existe un lien de connaissance, une curiosité de savoir, qu’il appel lien « K ». La culture créée des espaces d’exutoire qui permettent d’évacuer la violence sans dommage, de la transformer en combativité politique, en émulation sportive, en désir de se surpasser ou de dominer des objets théoriques. Elle crée aussi des cadres pour que l’affrontement reste réglé, dans des bornes acceptables, par exemple dans la compétition, la concurrence régulée, pour que l’émulation prime sur la destructivité.

Mais la culture peut aussi se muer en fabrique d’idéologies qui désignent des boucs émissaires, qui déprécie des groupes d’individus, qui exalte la guerre totale contre l’ennemi et qui promeut ma destructivité comme une puissance créatrice. Ces discours distillent une violence insidieuse : des enfants sont contraints à grandir avec une image dévalorisée de leur sexe sous l’effet de discours sexistes d’un père ou de discours haineux contre les hommes d’une mère. Des individus issus de groupes ethniques dénigrés sont contraints pour se protéger de rejeter une part d’eux-mêmes : des africains se blanchissent la peau, d’autres déprécieront leur culture, d’autres encore changeront de nom…

Créer des espaces qui offrent des exutoires à la violence, des espaces où la plainte et la protestation sont possibles, des espaces de défoulement, favorise la régulation des tensions. Par contre, il convient de savoir être ferme face aux idéologies porteuses de haines et de discrimination.
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D. La métaphore de la « plus-value » de la violence

Une autre image que nous emprunterons à Marx est celle de la « plus-value », c’est-à-dire de l’excès de richesse produite par le prolétaire et que le capitaliste s’approprie.

Il y a, dans la violence, une « plus-value » qui prend la forme de l’excès, de l’emportement, de la surenchère, de la vendetta infinie. Il y a une logique de l’hostilité qui dépasse l’intention initiale des protagonistes.

Dans l’excès les protagonistes se laisse entraîner par la jouissance, ou l’extase, de rendre coup pour coup et d’être emportés vers un « on ne sait où » qui les dépasse. Les rivaux ne s’opposent plus pour un objet de désir, car pris dans logique du « désir mimétique », ce qu’ils veulent c’est prendre la place du rival (4).

Mais, la violence offre d’autres formes de plus-values, plus inattendues. Il arrive que l’auteur d’un acte de violence accède à la culpabilité (5) et qu’il entre dans un processus de réparation.

Il arrive qu’un acte de violence permette une prise de conscience collective de l’injustice d’une situation et que cet acte soit perçu comme un appel lumineux qui oblige à penser, libère la parole et ouvre la possibilité de changer la réalité. Il arrive que la répétition d’un même type d’acte d’agression par un sujet, permette au professionnel de faire un lien entre l’acte posé par un individu et un vécu traumatique et ouvre ainsi un espace d’interprétation sur le sens de ces actes d’agression (6).

La violence, par sa logique d’excès, doit ramener le professionnel à une certaine modestie. Plutôt que d’espérer la contrôler, il gagne à viser une « réduction des risques », une « réduction des dommages », une prévention de l’exacerbation des violences. Il est vain d’espérer pouvoir contrôler tous les facteurs susceptibles d’engendrer de la violence. Il doit aussi, quand la prévention échoue, rester attentif à la possibilité d’une « post-vention », c’est-à-dire se saisir des possibilités de réparation ou de tirer des leçons.
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E. La métaphore du « capitaliste » de la violence

Le capitaliste est celui qui touche la plus-value du procès de production, celui a qui profite la production. Il peut être présent dans l’espace de production, à la manière d’un patron, ou tout ignorer de la production, à la manière du rentier ou du spéculateur.

De même les pervers savent se placer en bout de chaîne et capitaliser la violence. Le pervers ne se mêle pas à l’empoignade, mais il l’a suscite et en tire bénéfice. Sa présence est presque invisible. Il compte dessus, car plus la confusion règne, plus son pouvoir s’accroît. Son jeu est mortifère : ceux qui sont aux prises avec lui, ne peuvent l’atteindre, car il refuse la confrontation, et fera passer pour paranoïaque celui qui l’incrimine. Il y a des violences visibles qui attirent notre attention et des violences latentes, quasi invisibles, sans protagoniste agissant à visage découvert. Elles sont aussi destructrices – si ce n’est plus – que la violence manifeste du voyou.

Le professionnel doit avoir une vigilance égale vis-à-vis des violences « manifestes et bruyantes » et des violences « latentes et silencieuses. » C’est-à-dire, considérer non seulement les violences « latentes et invisibles » que subit son public, mais aussi celles qu’il subit lui-même. Le professionnel du social, de l’éducatif et du sanitaire ne doit pas perdre de vue que le néolibéralisme, dans son expression la plus radicale, désavoue son travail auprès des plus vulnérables qui est dénigré comme une forme « d’assistanat » qui entretient les « gueux » [Cordonnier, 2000] dans une misère dans laquelle ils se complairaient allègrement !

Il ne doit pas perdre de vue que pour une fraction de la classe dirigeante, les disfonctionnements des services sociaux, éducatifs et sanitaires sont presque souhaitables.

Conclusion

Cette formation sur quatre journées, nous l’avons élaborée avec les professionnels de Seine-Saint-Denis qui nous ont accordé leur confiance.

Nous l’avons systématiquement « dispensée » avec l’intention de rendre hommage à leur engagement sur des terrains difficiles, auprès des plus précaires et des plus vulnérables.

Le travail de première ligne devient de plus en plus difficile, notamment en raison du sentiment d’abandon social qui gagne une part grandissante de la population.

Répondre aux difficultés de ces publics exige du professionnalisme, une grande technicité. Mais aussi une professionnalité, c’est-à-dire un entremêlement des compétences professionnelles avec des compétences et ressources personnelles, sans lequel on ne reconquiert pas la confiance nécessaire à un travail efficace avec ces publics.

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Notes et bibliographie
Notes

(1) Ces mécanismes de projection ont été étudiés par Freud, qui met en parallèle les projections négatives liées au sentiment de haine et les projections positives liées au sentiment amoureux (Introduction à la psychanalyse, ch. 26, Payot, Paris, 1965, pp. 404s). L’haineux projetterait sur autrui ce qu’il hait de lui-même, de même que l’amant projetterais sur autrui les qualités qu’il aimerait avoir pour lui-même, et qui lui permettrait de s’aimer pleinement (voir Psychologie des foules et analyse du moi, ch 8, in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 2005, pp. 197-199). Freud analyse selon le même principe le sentiment de jalousie (Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité, in Névrose, psychose et perversion, PUF, Paris, 2008).

(2) La notion d’identification à l’agresseur a été principalement identifiée chez le petit enfant (voir notamment, Sandor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, PBP, Payot, Paris, 2008). Ici, nous parlons d’adultes, il n’est pas question d’identification « directe » à l’agresseur, mais de l’écho que produit en nous l’agresseur et de sa capacité à réveiller en nous des identifications primitives à d’autres agresseurs.

(3) La notion de professionnalité permet d’interroger l’ensemble des compétences professionnelles mobilisées dans l’exercice d’une profession, sous le double point de vue de l’activité et de l’identité. Elle permet de comprendre comment se combinent, dans la pratique du métier considéré, les savoirs, les expériences, les relations, les contraintes…, que ces éléments de la pratique soient professionnels ou personnels ; elle est le lieu du savant équilibre entre les dimensions cognitives, institutionnelles, organisationnelles voire militantes et celles personnelles, subjectives engagées dans l’activité considérée. La notion de professionnalité permet donc d’insister sur les ressources, les attaches internes ou externes au monde professionnel qui contribuent à construire la compétence professionnelle, laquelle est indissociable a) des normes professionnelles auxquels les agents se réfèrent pour juger de la qualité et du sens de leur travail, b) des ressources dont ils disposent pour en assurer la réalisation et c) des situations concrètes d’action dans lesquelles ils sont pratiquement engagés.

(4) La question de la rivalité mimétique a surtout été développé par René Girard [1972, pp. 216-217], mais Freud [Psy. vie. Amour, 2005, p. 48] l’avait aperçu en observe « que la même femme peut d’abord passer inaperçue ou même être dédaignée aussi longtemps qu’elle n’appartient à personne, tandis qu’elle devient l’objet d’une passion amoureuse aussitôt qu’elle entre une relation désignée avec un homme ». Lacan reprendra cette question en posant que « le désir de l’homme trouve son sens dans le désir de l’autre… parce que son premier objet est d’être reconnu par l’autre », l’autre étant, ici, le père [1966]. Lacan soutient que le désir est toujours métonymique, en se construisant toujours comme un écho du désir de l’autre [2004].

(5) Mélanie Klein (L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation) affirme l’importance capitale du processus d’identification (capacité à s’identifier à autrui, à se mettre à sa place) dans la naissance du regret et du besoin de réparer. La culpabilité joue donc un rôle essentiel dans la structuration de la relation à autrui. Freud (Totem et tabou) suppose que la naissance de la société coïncide avec l’apparition du sentiment de culpabilité chez les fils qui ont massacré le Père tout puissant qui dirigeait la « horde primitive ». Pour Donald Winnicott (Agressivité, culpabilité et réparation), paradoxalement, c’est « le sentiment de culpabilité permet à l’individu d’être méchant », et donc d’assumer et de domestiquer ses pulsions destructrices, puisqu’il sait qu’il pourra réparer les tords éventuels qu’il peut causer, de proportionner sa destructivité à ce qu’il peut réparer.

(6) Ce qui nous renvoi à la question de « l’acting out ». La notion d’acting out permet d’entrevoir que l’agresseur, par sa manière même d’agresser, raconte quelque chose sur ce qu’il a lui-même subit. L’acting-out vient donc à la place d’un souvenir, plus ou moins refoulé. L’acting out est une représentation qui « s’adresse » à un autre : celui qui agit attend, plus ou moins consciemment, que l’autre comprenne pourquoi il fait ce genre de chose, même si lui-même ne sait pas bien pourquoi il agit comme ça. C’est un appel à l’aide et à l’interprétation.

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